Nous vivons un temps de passions tristes…!
Ce moment s’explique par le creusement des inégalités, mais surtout par la transformation de leur nature. Le terme de «Extrême» souvent utilisé, parfois revendiqué, toujours controversé, s’est imposé au cœur du débat public ces dernières années.
Il est omniprésent dans les médias, il semble pourtant conserver une ambiguïté qui n’est peut-être pas étrangère à son succès. Descartes nous enseigne que seules les idées claires et distinctes nous permettent de penser avec justesse.
Par ailleurs, nous remarquons, actuellement, que la souffrance sociale n’est plus vécue comme une épreuve appelant des luttes collectives, mais comme une série d’injustices personnelles, discriminations, expériences du mépris, mises en cause de la valeur de soi…. !
Ne pouvant désigner les adversaires à combattre, nos citoyens sont emportés par un ressentiment dont se nourrissent les extrémistes de tous bords. Le régime des inégalités multiples engendre une société de la colère. Nous y sommes. Il faut la comprendre, pour être capables de résister aux vertiges de l’indignation.
Le fond de l’idéologie de l’extrémisme est constitué de deux simplifications.
En premier lieu, simplification est d’ordre institutionnel. Les extrémistes considèrent que le système de démocratie représentative, tel qu’il existe, est corrompu par les hommes politiques.
Il suspecte aussi que les corps intermédiaires, tels que la justice, les institutions régulatrices, etc., ne prennent pas en considération les vraies préoccupations et souffrances du peuple. Il faut donc limiter le pouvoir de ces intermédiaires et, au niveau politique, remplacer la démocratie représentative par un système d’appel direct au peuple. En bref, il faudrait remplacer les élections par des référendums.
En deuxième lieu, une simplification dans la conception du lien social. Pour les extrémistes, la cohésion d’une société repose sur son identité. L’identité supposée constitue le fondement de la société, elle est définie de façon négative par la stigmatisation de ceux qu’il faut rejeter, c’est-à-dire les élites dites cosmopolites, les immigrés et ceux qui ont d’autres croyances.
Comment expliquer la montée et le succès des extrémistes ?
Le succès des extrémistes résulte de la conjonction de nombreux facteurs qui s’expriment différemment selon les contextes nationaux : la situation de la France n’est pas comparable à celle de l’Allemagne. Il faut néanmoins s’interroger sur les raisons objectives que peut avoir une partie de l’électorat pour adhérer aux thèses des mouvements extrémistes.
1) La mondialisation et la crise économique.
Actuellement, pour beaucoup, la crise économique et la mondialisation marchent main dans la main, causant des changements profonds et inquiétants au niveau du marché du travail, de l’emploi, du niveau de vie. Le capitalisme industriel a été détrôné par le capitalisme financier : à la place d’une économie basée en large partie sur le travail, on est confronté à un capitalisme basé sur des formes diverses de spéculation : spéculation sur les matières premières, les valeurs boursières, les dettes souveraines etc… Avec la disparition de branches d’industrie traditionnelle, la possibilité de trouver ou maintenir un travail diminue tragiquement pour les moins qualifiés professionnellement. De plus, des régions dépendant de ces industries sont confrontées à un déclassement social, et cette situation prépare le terrain pour les extrémistes. Cette mondialisation, qui serait voulue par une élite économique et financière, serait aussi la cause de l’affaiblissement de l’État-Providence.
En effet, pour faire face à la concurrence internationale, les classes dirigeantes nous font croire qu’il faudrait réduire les charges sociales et salariales, et en même temps, réduire les impôts. Pour les extrémistes, les artisans de cette mondialisation, c’est-à-dire les élites, en sont les seuls gagnants. Le résultat est que le fossé croît entre ces « élites riches », une minorité, et ceux, la majorité, le peuple, qui lentement glissent sur la pente descendante qui mène à la pauvreté et au déclassement social.
Fidèle à sa méthodologie, l’ extrémiste désigne donc des boucs émissaires et propose des solutions simplistes. Mais un constat n’en reste pas moins cruellement présent : depuis les années 1980, la redistribution des revenus diminue, tandis que la pauvreté s’accroît et redevient une condition sociale pour une partie grandissante de la population. D’autres catégories sociales couches moyennes, employés, cadres, petits patrons, artisans, etc. ressentent aussi aujourd’hui un sentiment de déclassement, et se vivent comme les perdantes de la mondialisation.
Les réformes économiques néolibérales mises en œuvre dans les années 1990 ont accru les inégalités, tandis que les transformations sociales et culturelles rapides qui en ont découlé ont suscité un sentiment de dislocation. Les gens ont eu le sentiment d’être dépossédés de leur culture et de leur identité par la mondialisation.
2) Crise du système politique et dysfonctionnements démocratiques
Selon les extrémistes, les gouvernements actuels sont incapables de fournir une réponse aux conséquences de la mondialisation et de la crise économique. Ils sont incapables de protéger le peuple contre le déclassement social et les dangers qui le menacent. Gouverner semble être réduit à une suite de prises de décisions pour réagir au plus pressé, sans réelle option de choix. Ce qui est illustré par les paroles : « il n’y a pas d’alternative ». L’urgence semble être le moteur de la gouvernance, urgence qui justifierait l’économie de la consultation démocratique. Les partis traditionnels sont affaiblis et ne présentent pas des choix politiques réellement différents. De toute façon, dans la plupart des pays européens, il faut, pour gouverner, faire des coalitions dans laquelle la singularité particulière des partis disparaît.
Ainsi, on rentre dans un cercle vicieux : absence d’originalité chez les partis, absence d’intérêt chez les électeurs. Les mouvements extrémistes stigmatisent tout compromis ou consensus comme étant de la compromission. Du coup, les partis traditionnels, une fois dans l’opposition, ont tendance à radicaliser leur discours pour se démarquer. Ils promettent des lendemains qui chantent, ou – pire – ils vont jusqu’à reprendre certains des thèmes propagés et défendus par les mouvements extrémistes.
Enfin, le système éducatif se trouve dans une phase de transition. En s’adaptant de plus en plus aux exigences du marché de travail, une éducation utilitariste est favorisée, et des objectifs comme l’esprit critique et ouvert ou l’éducation artistique et esthétique deviennent secondaires, voire négligés.
Par cela, les arguments des extrémistes peuvent percer plus facilement, la résistance d’une société est réduite, dans sa capacité de raisonner indépendamment et de remettre en question des propos simplistes. Il s’ajoute le fait que seule une minorité, une élite encore une fois, possède les moyens de se permettre une éducation plus vaste, qui va au-delà de ce niveau utilitariste.
Mais les extrémistes entretiennent ce ressentiment en désignant des boucs émissaires. Car elles ont besoin que le malheur s’étende : elles en vivent, elles s’en nourrissent. Il leur faut toujours plus de divisions, de fragmentation de la société.
Or plus on divise, plus on affaiblit. Plus on dresse les travailleurs contre les chômeurs, les agriculteurs contre les défenseurs du climat, les Français contre les étrangers, les centres ville contre les banlieues, les « vieux » contre les « jeunes ». Et au bout du compte tous et toutes y perdent… sauf les nostalgiques d’un pouvoir autoritaire derrière qui toute la société marcherait au pas.
3) Il est grand temps d’ouvrir les yeux
Depuis des décennies, ce qui menace la démocratie et le vivre ensemble, dans notre pays comme dans beaucoup d’autres, c’est le recul massif de l’égalité, des solidarités, de l’accès aux droits et de la protection des plus fragiles. Avec toujours plus de personnes, précarisées, abandonnées, voire méprisées.
Ce ne sont pas les personnes étrangères qui ont fait exploser inégalités et discriminations. Ce ne sont pas les écologistes qui ont ruiné tant de paysans endettés et exploités par les industries agro-alimentaires. Ce ne sont pas les « jeunes des quartiers » qui ont construit, abandonné puis laissé se dégrader les quartiers populaires où se concentrent depuis si longtemps misère, chômage et précarité. Ce ne sont pas les militants syndicaux qui ont fermé les usines ou dégradé les services publics.
De tout cela bien sûr, les extrémistes ne disent rien. Mais nous, syndicalistes, acteurs de la solidarité, de la fraternité et citoyens engagés dans la société civile, nous disons aujourd’hui qu’il est grand temps d’ouvrir les yeux. Car le danger grandit, aux portes d’un avenir proche : le danger que triomphent la haine de l’Autre, le repli identitaire, le racisme, l’affrontement de tous contre tous. Que deviendrait alors la démocratie même ?
Une question centrale est donc posée : comment aider cette fraction croissante de la population à sortir de la pauvreté, à retrouver des conditions de vie dignes, et qui les rendent moins vulnérables aux thèses extrémistes ?
Oui, il est grand temps de réagir. Nous, FSU , nous n’acceptons pas que se poursuivent le saccage de la santé publique – entre « déserts médicaux » et détresse hospitalière –, le séparatisme scolaire des riches et les études de plus en plus chères, les logements de moins en moins abordables pour le plus grand nombre, les services publics qui reculent, des territoires abandonnés à la précarité et à l’insécurité sociale.
Croit-on que les explosions de colère qui se succèdent sans cesse – « gilets jaunes », révoltes dans les quartiers populaires, colères des agriculteurs – arrivent par hasard ? Les mauvais coups portés aux retraites, au logement social, à l’agriculture paysanne et maintenant aux allocations chômage profitent aux semeurs de haine, aux entrepreneurs de ressentiment identitaire.
Le terreau sur lequel poussent les démagogues de populisme, c’est l’amertume que provoquent toutes ces régressions malgré des mobilisations souvent très importantes, c’est le sentiment d’une vie toujours plus difficile et précaire.
Peut-on continuer longtemps à perdre nos libertés, nos droits, notre espoir d’un avenir meilleur ? Nous savons bien que non. C’est pourquoi la FSU , « résistants de tout temps à l’hydre haineuse du extrémistes», face aux porteurs de haines, d’injustices et de discriminations, appelle à se mobiliser contre les inégalités sociales et territoriales. Parce que là sont les vrais enjeux. Parce que là se joue, à court comme à long termes, l’avenir de nos sociétés et de la démocratie.
Et surtout parce que nous portons dans nos engagements, dans nos actions quotidiennes, la conviction que c’est le rassemblement de tous ceux et celles qui veulent plus d’égalité, de solidarité, de justice sociale et fiscale et de respect de toutes et tous qui peut faire reculer le risque du pire et nous redonner espoir dans l’avenir. C’est urgent, c’est nécessaire et c’est possible.
Nous appellons toutes les Femmes et tous les Hommes qui partagent ses préoccupations et ses valeurs, et qui se considèrent réellement comme démocrates, républicains et humanistes – quelle que soit leur couleur politique – à ne jamais céder aux idées mortifères des extrémistes et à s’engager et sincèrement dans la lutte contre les inégalités, la crise climatique et pour la reconstitution de notre tissu social.
La FSU doit se placer aux avant-postes pour défendre la République et être prêts à participer à la reconstruction d’un espoir républicain pour tous.