M. Pochard, conseiller d’État, a remis le 4

février au ministre de l’éducation nationale

le rapport sur la redéfinition du métier

d’enseignant élaboré par la commission

qu’il présidait. Ce livre vert doit alimenter

la réflexion gouvernementale. « Le temps

de la décision », a annoncé Xavier Darcos,

« sera celui du livre blanc qui rassemblera

les propositions du gouvernement. »

Le rapport Pochard est donc sorti selon les rythmes imposés par le gouvernement et le président. Et -mais faut-il s’en étonner ?- conformément aux orientations libérales de ceux-ci. Car il s’agit bien, dans l’EN comme ailleurs, d’appliquer la « politique de civilisation » chère au locataire de l’Elysée. A savoir la démolition systématique de tous les acquis sociaux obtenus à la Libération, comme l’indiquait, il n’y a pas si longtemps, Denis Kessler (un proche de Sarkozy) pour le MEDEF. Ainsi voit-on sans ambages affirmées les solutions les plus radicales de destruction du métier d’enseignant en particulier pour le secondaire, puisqu’il s’agit du principal gisement d’économies potentiel dans la peespective de suppression de 80000 postes d’enseignants en 4 ans. Le tout cadré par les exigences de respect du pacte de stabilité de l’Ue !

Qu’on en juge à travers quelques citations (qui ne sauraient dispenser d’une étude approfondie du rapport, tant son contenu est riche en enseignements sur les présupposés « philosophiques » des libéraux) :

"-" sur le travail des élèves « les établissements pourraient (..) ne pas conserver pour toutes les divisions le même emploi du temps toute l’année (…) les normes nationales s’appliquant automatiquement (…) doivent être abandonnées (…) institution dans les établissements du second degré, d’une dotation financière en plus de la dotation horaire (…) faire appel à des intervenants extérieurs (…) globaliser les moyens financiers issus de l’Etat avec ceux qui viennent des collectivités locales (…) autonomie renforcée des établissements devrait cependant s’appuyer sur des moyens contractualisés avec les autorités académiques (…) contrats d’objectifs prévus par la loi de 2005 constituent le bon vecteur (…) horaire hebdomadaire est source de rigidités dans l’emploi du temps des élèves (…) heures d’enseignement sont dans une année scolaire (..) amputées (…) stages (…) examens (…) soit une perte de potentiel d’enseignement équivalent au travail de 20 à 30000 professeurs… ».

Eclater le cadre national, renforcer le contrôle des tâches par le renforcement de l’autonomie locale, obsession des « résultats » (financiers !), diminution des dotations de l’Etat et renforcement du poids (forcément inégal en raison des inégalités territoriales et des choix politiques locaux) des collectivités locales, remise en cause du déroulement des examens etc…Il ne restera pas grand chose de l’égalité du droit à l’instruction si un tel saccage parvient à s’imposer. En particulier dans les territoires, tels la Nièvre, qui, en raison même des politiques libérales -nationales et européennes- cumulent inégalités sociales et inégalités territoriales.

Mais, pour parvenir à imposer ce « modèle » de desinstruction, il faut aussi en finir avec le statut d’une fonction publique de carrière, celle qui aux dires du Conseil d’Etat dans un récent rapport, a permis que se constitue en France une « fonction publique honnête et intègre ». Car les libéraux éructent de ne pouvoir éliminer plus rapidement les principes républicains de l’égalité de traitement des citoyens par l’administration et du droit à l’instruction publique laïque et gratuite. Autant d’entraves à la liberté du renard dans le poulailler, celle des affairistes, potentats locaux, notables bien en cour, élus corrompus, etc…

D’où le sens des propositions consistant à confier le recrutement des « équipes » au chef d ‘établissement, de définir localement les « missions » qui ne seraient plus exclusivement en horaires d’enseignement, d’annualiser les services, de déterminer l’avancement et les mutations en fonction des besoins locaux et des appréciations de la seule hiérarchie. Quant à la réduction du temps de travail et à l’amélioration du pouvoir d’achat, ici comme ailleurs, c’est le slogan autiste du « travailler plus » qui est mis en avant, les indications du rapport permettant de supposer une aggravation drastique de la charge de travail par la réunionite systématique, les contrôles tatillons, l’évaluation incessante de la performance (« il n’y a pas de raison que la loi commune de la performance(…) ne s’applique pas aux enseignants »), la mise en concurrence des personnels,…

Bref, le paradis libéral et l’enfer salarial !

On peut, sans être grand clerc, prévoir les résultats de ce type de système éducatif : plus d’inégalités encore (avec, en filigrane, la reconstitution de deux ordres d’enseignement ?), ce qui aggraverait la sélection sociale et territoriale, une maîtrise des plus incertaines même du fameux « socle commun » de la loi Fillon, un effondrement du niveau disciplinaire des futurs enseignants, la substitution de la transmission des « savoirs être » aux savoirs. Au bout du compte, il n’en sortirait qu’un nouvel affaiblissement des résultats proprement scolaires des élèves. Mais la substitution de la logique « compétences » à la logique connaissances dans les évaluations -conformément aux méthodes de l’OCDE- permettrait sans doute de masquer, un certain temps, la dégradation réelle du système.

Quoiqu’affirmant (sans rire) l’indépendance de la commission, et le fait qu’il n’était nullement tenu par ses conclusions, le ministre a cependant pris soin de s’inscrire dans la feuille de route présidentielle, celle qui prévoit de « travailler plus pour… ». Mais vous connaissez la suite.

Comment pourra t-on espérer gagner contre ce discours de faussaire, et préserver ce qui reste d’instruction publique dans ce pays (certes déjà bien mis à mal par la multiplication des « réformes » ces dernières décennies) ?

Cela ne sera possible qu’en gagnant la bataille de l’opinion et en fédérant les luttes au delà de l’Education Nationale ! Car partir seuls à la bataille n’assurera que la défaite. Tout doit donc être fait pour montrer que la destruction de la Fonction publique enseignante n’est que le morceau le plus volumineux de la politique libérale visant à sortir l’ensemble des fonctionnaires (hors fonctions régaliennes, c’est-à-dire police, justice, défense. Encore que, là aussi, certaines formes de privatisation-externalisation soient déjà à l’oeuvre et puissent être amplifiées) de la Fonction publique d’Etat.

Vers nos concitoyens, pour convaincre de la nécessité de la lutte, il faut s’appuyer sur les propos des libéraux eux-mêmes. Tel Fillon indiquant que la Réforme de l’Etat signifie « accepter moins d’Etat, moins de services sur nos territoires » ? N’est-ce pas le rapport Attali qui envisage des mesures qui détruiraient de nombreuses professions et bouleverseraient le cadre républicain de l’Etat avec, par exemple la suppression des départements, etc…?

Il nous faut travailler les solidarités en montrant concrètement ce que le rapport Pochard et son application, même partielle, signifierait pour les enfants de la République : la fin de toute confiance possible quant aux résultats scolaires, les sélections déguisées, l’effondrement aggravé du niveau des connaissances des citoyens, les inégalités de traitement institutionnalisées, l’augmentation des impôts locaux (fiscalement injustes car non progressifs) pour faire face au désengagement de l’Etat si la collectivité territoriale le peut, la dégradation inéluctable du service public puis sa disparition programmée, si elle ne le peut pas. On voit bien les menaces particulières qui pèseraient (qui pèsent déjà) sur les petits établissements scolaires dans un département comme la Nièvre…

Mais rien n’est joué d’avance et l’effondrement de la popularité présidentielle montre que les yeux se dessillent.