Le mardi 31 août 2005, nos collègues Hubert Goglins, proviseur (syndiqué au SNETAP) du LEGTA du Morvan à Château-Chinon (Nièvre ) et Colas Cochot, enseignant de phytotechnie, ont été condamnés au pénal à deux mois de prison avec sursis, ainsi qu’à des amendes, car ils ont été reconnus responsables du grave accident qui est survenu à un élève de 4ème lors d’un stage en exploitation agricole, le 8 novembre 2002.
Le Journal du Centre titrait en une le lendemain : « Prison avec sursis pour le proviseur du lycée agricole », et le titre de l’article en page 2 était : « Une négligence qui coûte cher ».
Que s’était-il donc passé ?
Les faits
Rien d’autre que ce qui se passe dans tous les lycées de l’enseignement agricole public de France : dans le cadre de la formation en classes technologiques des collèges, les élèves font des stages en entreprise. Après que l’enseignant responsable des stages de 4ème T et 3ème T se soit occupé de l’organisation ( dates, lieux, conditions d’hébergement et de transport, vérification de l’adéquation entre le lieu de stage et les motivations des élèves,…. ) de tous les stages de la classe, la convention avait été signée par le proviseur et le jeune agriculteur biologique ( ancien élève du LEGTA ) habitué à recevoir des élèves de son ancien lycée dans son exploitation. Il avait été plus particulièrement contacté par les parents de cet élève-là car les deux familles sont amies et le jeune élève était intéressé par l’agriculture biologique. Durant la 2ème semaine du stage, le professeur d’EPS, est venu rencontrer les stagiaires (ils étaient deux) et leur maître de stage afin de savoir comment les choses se passaient pédagogiquement et humainement parlant. C’est le lendemain de cette visite que l’accident a eu lieu : pour aller à une réunion l’agriculteur a laissé ses stagiaires à la garde de son père ( jeune retraité et ancien propriétaire de la ferme. ). Et les deux garçons, comme ils l’avaient fait déjà à plusieurs reprises, ont concassé du maïs pour la nourriture des animaux. Le drame s’est noué lorsque le jeune garçon a ouvert son blouson, sans l’enlever, car il avait chaud et il a été attrapé par la machine qui n’avait pas de capot protecteur. Ses blessures ont été très graves et il est aujourd’hui très handicapé ( 67% ). Il a repris ses études au LEGTA en CAPA, mais il paraît difficile qu’il puisse un jour reprendre l’exploitation de ses parents.
Les débats
Nos collègues ( et l’agriculteur ) sont prévenus « d’avoir, dans le cadre du travail, par maladresse et imprudence, inattention, ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi…. En ayant affecté en stage en exploitation un enfant âgé de moins de 14 ans et en ayant omis de s’assurer que l’équipement de l’entreprise d’accueil, les techniques utilisées, les conditions de travail, d’hygiène, de sécurité….étaient de nature à préserver l’intégrité physique de l’élève….intégrité de sa personne…..entraînant une incapacité totale de travail personnel supérieure à trois mois. »
Le président et le premier assesseur ont posé beaucoup de questions et mené les débats plus à charge qu’à décharge. Ils ont pointé toutes les fragilités de notre fonctionnement : pas assez de temps passé pour enseigner la sécurité et faire prendre conscience aux élèves des dangers, pas de visite de sécurité approfondie des exploitations ou entreprises avant et pendant le stage, toutes choses qu’il est impossible de faire vue la situation des dotations en personnel dans les établissements. D’une manière générale, les débats nous ont paru surréalistes, en dehors de toute connaissance de ce qu’est un établissement scolaire, l’enseignement technique, la formation universitaire suivie par les enseignants, et le Code de l’Education….le premier assesseur a tout bonnement rétorqué à Hubert Goglins que le proviseur et les enseignants ne devraient pas accepter d’ organiser les stages au vu de la situation et malgré le Code de l’Education qui ne fait jamais référence à l’âge des élèves mais au niveau scolaire. L’avocate pour la partie civile a reproché à notre collègue Colas Cochot de s’être « improvisé » responsable des stages sous le prétexte qu’il est enseignant de phytotechnie et pas de machinisme ! Elle aurait pu tout autant lui reprocher de ne pas être professeur de zootechnie puisqu’il s’agissait d’une exploitation d’agri-élevage… et comment faire dans les établissements qui n’ont pas d’enseignants de machinisme ???
Toutefois les propos les plus durs tenus à notre encontre, enseignants et équipes de direction, ne sont pas venus du monde judiciaire…
L’inspection en agriculture, témoin à charge
C’est là que le public ( presque tous les collègues ATOSS et enseignants de Château-Chinon malgré la rentrée des BTSA, des collègues du LEGTA de Challuy et le bureau départemental de la FSU ) a manqué de se faire mettre dehors par le président….
La représentante de l’ITEPSA (Service Départemental de l’Inspection du Travail, de l’emploi, de la Politique Sociale Agricole qui appartient à notre ministère…. ) – envoyée par sa hiérarchie ? – avait apparemment l’intention – la consigne ? – de « se faire » l’enseignement agricole public… Elle a insisté sur le fait que tout est indiqué sur les conventions de stage et qu’ « il n’y avait qu’à les suivre ». Elle a attaqué la visite « de courtoisie » du collègue d’EPS et s’est exclamé que ces visites « de courtoisie » étaient inutiles ( aucun intérêt en effet de savoir comment les relations se nouent entre le maître de stage et ses stagiaires…. ). Si elle a admis ne pas avoir connaissance de ce qu’est le contenu universitaire de la formation d’un professeur d’EPS, elle s’est rapidement reprise pour affirmer péremptoirement que du fait qu’il travaille dans un lycée agricole, il « baigne » dans ce milieu et doit forcément connaître les tracteurs et les machines….et s’il n’a pas cette compétence, il ne doit pas faire la visite.
Tout cela ne l’a pas empêchée de reconnaître que le service auquel elle appartient « s’efforce de faire des contrôles ». On a vu dans ses propos « l’auto excuse » permanente des manquements des services de l’inspection en agriculture ( malgré une rapidité d’exécution extraordinaire car elle a soutenu qu’il ne fallait que 2 heures pour faire la visite de sécurité d’une exploitation, soit 1h. pour l’administratif et 1h. pour tout le reste… !!! ) et l’attaque en règle contre l’enseignement agricole public taxé d’incompétence et d’irresponsabilité.
Comment nous défendre et comment protéger nos élèves ?
Une responsabilité écrasante
Ainsi que l’a rappelé l’avocat de l’agriculteur, il est écrit, sur toutes les conventions, que « même en cas de faute inexcusable de l’agriculteur, le lycée devra en supporter les conséquences »………. !!!! Peut-on exonérer ainsi une profession et imposer à une autre une responsabilité d’autant plus écrasante qu’elle n’a aucun moyen de l’exercer ?
L’ensemble des collègues de Château-Chinon réuni en assemblée générale a suspendu sine die tout départ en stage et exigé des réponses de la part de la DGER. Le SNETAP-FSU, ainsi que les autres organisations syndicales, a dans le même temps exigé la réunion d’un groupe de travail afin de se faire entendre et imposer une véritable protection des enseignants et des proviseurs. Sauf en cas de faute caractérisée, nous devrions pouvoir être défendus comme le sont les élus. Lors des dernières négociations avec la DGER sur ce sujet, les propositions des représentants des personnels avaient été laminées par les interventions des organisations professionnelles agricoles et des MFR qui craignaient pour leur boutique….La protection des élèves n’est pas leur principal souci, il faut le dire ; ce qu’ils ne veulent pas perdre, c’est, pour les premières, de la main d’œuvre qui ne coûte rien et pour les autres des clients , à qui bien sûr, on fait miroiter l’expérience professionnelle ; au détriment de la sécurité.
Nous avons été d’ailleurs surpris de l’absence de représentants de la profession agricole. Renseignements pris, l’organisation majoritaire dans le département, au courant, avait apparemment mieux à faire que de venir, sinon soutenir leurs collègues ( le maître de stage comme les parents du jeune élève dont il faut souligner la grande dignité et l’immense générosité et qui ne blâment ni l’agriculteur, ni les collègues de Château-Chinon au point de renvoyer leur enfant y poursuivre ses études agricoles. ), au moins observer comment s’orientaient les débats………. comment comprendre cette désaffection ?
Cette affaire n’a pas éclaté dans un ciel serein ; nous étions déjà inquiets du laxisme de l’administration qui ne nous donne pas les moyens d’exercer ce qui devrait être le fondement de notre mission d’instruire : en effet, Roland Chambon, chef du SRFD Bourgogne, a expliqué, dans un courrier cité au procès, que pour un établissement comme le LEGTA de Château-Chinon, c’est 1000 visites de sécurité et pédagogiques que nous devrions faire par an, afin de protéger et accompagner les élèves en stage. Aucun établissement en France n’a les moyens humains et financiers de faire ces visites. Alors quoi faire ? Ne pas organiser les stages ainsi que l’a dit le premier assesseur ?
Ce qui est certain, c’est qu’il n’est pas possible de continuer à travailler de cette façon. Nous devons nous montrer très fermes, très exigeants, très déterminés, pour obtenir, très rapidement, que la loi soit changée et que personne ne se trouve plus un 31 août dans une salle de tribunal.