Sarkozy a annoncé que 2010 serait l’année du bouleversement de notre modèle social et des retraites. Sans doute après les élections régionales.

Depuis Balladur, en 1993, les droits à pension n’ont cessé d’être attaqués en France. Mais cette évolution s’inscrit dans la logique de l’Union européenne, les différents gouvernements infligeant des reculs comparables chez nos voisins, sur injonction de la commission de Bruxelles.

Or l’allongement de la durée de la vie est largement liée à la généralisation du droit à la retraite qui a permis une élévation du niveau de vie des retraités. Ce droit n’a été acquis pour tous que par la mise en place de la sécurité sociale en 1945, conformément au programme du CNR (Conseil National de la Résistance). Programme que les plus hauts dirigeants du patronat ont chargé N. Sarkozy de détruire. D. Kessler, vice président du Medef : « Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance » Challenges 04/10/2007).
Souvent, la question des retraites est présentée comme complexe alors qu’il s’agit d’un droit fondé sur des principes simples qu’on brouille à plaisir pour mieux favoriser les attaques dont il est l’objet. Or seules ses modalités pratiques sont réellement complexes.

Dans les lignes qui suivent, on s’efforcera, sans entrer dans les détails, d’expliquer ces principes (I) afin de mieux souligner les enjeux (II) et d’éclairer la lutte pour la reconquête du droit à la retraite pour tous (III), conformément aux mandats de la FSU : retraite à 60 ans, à taux plein avec 37,5 annuités de cotisation, et un taux de remplacement au moins égal à 75% du dernier revenu.

I. Au delà du travail, le droit à la retraite !

A. Les principes des retraites en France depuis 1945

S’il existait déjà un certain nombre de professions couvertes par des mesures spécifiques, ce sont les textes de 1945, posant les bases de la sécurité sociale, qui ont permis la généralisation des systèmes de retraites. Des systèmes -et non du système- car plusieurs professions ont alors refusé de rentrer dans le régime universel prévu qui, dès lors, a concerné exclusivement les salariés du privé sous le nom de régime général. Cependant, peu ou prou, ce sont les règles de ce régime qui ont ensuite été reprises pour la centaine de régimes spéciaux. Pour les fonctionnaires de l’Etat les pensions sont un élément du statut et relèvent donc du grand livre de la dette. Leurs pensions ne peuvent donc pas connaître de déficit à proprement parler.
D’abord le principe de la répartition. Les prestations sont financées par les cotisations des affiliés, immédiatement utilisées pour éviter la dépréciation monétaire, ou les aléas des placements financiers. C’est donc l’opposé de la capitalisation (placement en bourse des sommes collectées par exemple) dont les risques sont encore soulignés par la crise actuelle.
Ces cotisations, qui constituent un salaire différé, sont constituées d’une part patronale, et d’une part salariale. Mais les deux sont bel et bien du salaire. Le terme de « charges » utilisé par les médias et le patronat pour désigner les premières est une prise de position idéologique visant à en obtenir la réduction, mais n’est pas conforme à leur nature réelle.
Pour obtenir une retraite à taux plein (c’est à dire avec le niveau le plus haut de prestation) il fallait, avant 1993, totaliser 150 trimestres de cotisations ou 37,5 annuités. La pension était ensuite calculée sur la base des 10 meilleures années (dans la fonction publique les six derniers mois de la carrière).
Dès 1947 ont été crées des retraites complémentaires pour les cadres (AGIRC) et en 1961 pour les non cadres (ARRCO), face à l’inflation.

B. Des reculs constants depuis 1991

Dès 1991, le premier ministre socialiste, M. Rocard crée, pour financer la Sécu, la CSG (Contribution Sociale Généralisée). Derrière cet objectif apparemment louable se cache, en réalité, une stratégie d’assèchement de la principale ressource, les cotisations. Car, dans le même temps, sont mises en place, par le gouvernement socialiste de l’époque, de manière autoritaire les exonérations de « charges patronales ». En principe, la gestion de la Sécurité Sociale devrait reposer sur le « paritarisme » et les élections, ce qui limiterait ces dérives. Mais l’Etat a toujours cherché à prendre le contrôle des énormes masses financières que représentent les cotisations ; une somme souvent supérieure au budget de l’Etat.
Dans le cadre de l’approfondissement de la construction européenne (le traité de Maastricht est adopté en France en 1993), il fallait favoriser la compétitivité des entreprises françaises… Le discours ressert en toutes occasions ! De plus, ce traité (et tous les suivants) considère que les dépenses de sécurité sociale font partie des dépenses publiques qu’il convient, dans la logique libérale, de réduire. Assimilation scandaleuse puisqu’il s’agit de fonds sociaux et non d’argent public. Mais affirmation profitable parce qu’elle peut permettre le développement d’un marché lucratif pour les assurances, la dégradation de la protection collective encourageant ceux qui le peuvent (les plus riches) à rechercher des mécanismes de protection individuelle.
Dès lors, l’entreprise de démolition ne cesse de s’aggraver. En 1993, le gouvernement Balladur fait passer la durée de cotisation du régime général (celui qui concerne l’immense majorité des salariés du privé) à 40 annuités, et le calcul des droits à pension sur les 25 meilleures années au lieu de 10. Puis, en 1995, Juppé tente d’imposer les mêmes régressions aux fonctionnaires et aux régimes spéciaux. Mais les grèves de l’hiver 1995 sont assez puissantes et unies pour le faire reculer. Revenus aux affaires, les socialistes n’annulent aucune de ces mesures car ils s’inscrivent, eux aussi, dans le cadre européen. Au contraire, ils augmentent les exonérations de cotisations patronales, ce qui augmente le « déficit de la sécu », donc des régimes de retraite. C’est Fillon qui, en 2003, parvient à diminuer les droits à pension des fonctionnaires, en promettant de ne pas toucher aux régimes spéciaux. Mais certaines directions syndicales ne sont pas exemptes de responsabilité dans cette défaite, par leur pusillanimité, alors que la base était mobilisée comme jamais. Bien sur, les promesses n’engageant que ceux qui y croient, en 2007, les régimes spéciaux sont alignés sur les fonctionnaires.
La loi Fillon prévoyait un allongement progressif de la durée de cotisation à 40 puis à 42 annuités. Ainsi un authentique régime général de dégradation pour tous a été peu à peu institué ! Et ce n’est pas fini nous a promis Sarkozy.

II. Retraite et luttes d’intérêts

A. Justifications avancées pour les contre réformes

Face à la dégradation (toujours présentée comme acquise, certaine, et durable dans le temps) des comptes de la sécu, et en particulier de la branche vieillesse, les gouvernements ont tous brandi l’arme démographique. Trop de vieux, vivant de plus en plus longtemps (les salauds !), finiraient par miner le système. D’autant que le pays ne ferait plus assez d’enfants et que les générations du « baby-boom » arrivent à l’âge de la retraite.
D’autre part, avec la concurrence internationale et la mondialisation des échanges, les « charges sociales », dans les pays riches, représentent un désavantage concurrentiel insupportable pour « nos » entreprises. De plus, le « trou » de la sécu serait du aux multiples « abus » et « gaspillages » des… assurés sociaux ! Il faudrait donc faire porter davantage l’effort sur les individus pour les responsabiliser.
Enfin, l’allongement de l’espérance de vie justifierait de travailler plus longtemps.

B. Le dessous des cartes

En réalité, il n’y a pas de déséquilibre démographique à proprement parler puisque le système par répartition suppose un équilibre suffisant, non entre « jeunes » et « vieux », mais entre actifs cotisants et pensionnés. Tout dépend donc du taux d’activité de la population en âge de travailler, taux qui peut être augmenté, soit par une plus grande activité des femmes, soit par une augmentation des emplois à plein temps, soit par une diminution du chômage, soit par le recours à la main d’œuvre immigrée, soit par les 4 à la fois.

D’ailleurs, depuis une dizaine d’années, la France est en train de retrouver un taux de natalité plus élevé et cela ne rééquilibre en rien le système.
En effet, ce qui plombe les retraites c’est, en réalité la hausse continue du chômage lié à l’ouverture de plus en plus grande de nos économies, en Europe, à la concurrence des pays à très bas coûts de main-d’œuvre. Ouverture voulue et conçue comme un formidable outil de pression à la baisse sur les salaires et les prestations sociales. Mais aussi les exonérations croissantes de cotisations sociales accordées aux entreprises (il existe à l’heure actuelle plus de 60 dispositifs différents, dont certains cumulables, et qui s’adressent à toutes les entreprises, sans aucune distinction, qu’elles suppriment des emplois et délocalisent, qu’il s’agisse d’une PME ou d’une FMN !), en particulier pour les emplois faiblement rémunérés. Ce qui représente aussi une incitation supplémentaire à verser des rémunérations à peine supérieures au SMIC, donc à faire baisser la masse totale des salaires distribués, ce qui assèche d’autant l’assiette des cotisations.
L’Etat est sensé compenser ces remises, mais il ne le fait jamais totalement. Cela induit un manque à gagner de plus de 40 milliards d’euros pour la sécu depuis 1991 (source ACOSS).
Il n’y a donc pas de déficit de la sécu ni des retraites. Ou plutôt il n’existe qu’un déficit artificiellement créé et qui permet de justifier de nouvelles régressions sociales, sous prétexte de « sauver » le modèle par répartition. De 1991 à 2008 ce sont plus de 260 milliards d’euros d’exonérations qui ont ainsi été accordées, en hausse constante chaque année. Et 30,7 milliards d’euros pour la seule année 2008.

III. Reconquérir le droit à la retraite

A. Fausses pistes

Fiscaliser davantage les ressources de la sécu avec des recettes telles la CSG (Rocard 1991) ou la CRDS (Contribution pour le Remboursement de la Dette Sociale 1996 Juppé) est une piste souvent présenté comme « progressiste ». Actuellement, les cotisations sociales représentent encore plus de 70% des recettes de la sécu. Mais cette part diminue. La tendance est donc amorcée et le moins que l’on puisse dire est que cela n’a rien résolu puisque le problème n’est pas dans l’insuffisance de l’assiette mais dans les exonérations. De plus, il s’agit d’une solution dangereuse car les recettes fiscales, en France, ne peuvent être affectées à une dépense particulière. Cela permettrait (et permet déjà avec les taxes sur le tabac et l’alcool par exemple) de détourner l’argent de la sécu vers d’autres objectifs politiques.

Une des principales pistes de travail du COR (Conseil d’Orientation pour les Retraites) est la recherche d’un régime unique par points ou « notionnel ». Le COR doit rendre son rapport avant le premier février 2010.
L’allongement de la durée de cotisation par recul de l’âge de la retraite (au delà de 60 ans, durée acquise en 1982) est plus difficile à mettre en place en raison de la faible part de l’emploi des « seniors » en France, et du juste attachement des travailleurs à cette limite symbolique. Mais d’aucuns envisagent déjà un départ vers 67 ans en raison de la baisse des pensions qui pourrait résulter de la mise en place du régime par point ou notionnel. Si les deux termes ne recouvrent pas exactement la même chose on peut, pour simplifier, dire qu’il s’agit de systèmes dans lesquels les actifs accumulent des points individuels, en fonction de leur durée d’activité, et de l’espérance moyenne de vie de leur catégorie. En gros, plus l’espérance de vie théorique est longue, plus il faut travailler longtemps. Ou partir à la retraite avec une pension très diminuée.
Se pose aussi la question de la validation des périodes de chômage ou d’inactivité. Alors que le chômage et la précarité explosent, que la durée des études s’allonge, on voit mal comment l’immense majorité des actifs actuels, et de demain, seront en mesure de cotiser assez longtemps pour toucher une retraite correcte.

Au total, toutes ces solutions ont un avantage évident : celui de permettre de faire baisser de façon drastique le niveau des pensions donc le coût du travail. Du pain béni pour les employeurs (pris individuellement ; mais, au total, la baisse de pouvoir d’achat en résultant ne peut qu’affecter négativement les dépenses de consommation et donc aggraverait la crise des débouchés, en particulier pour les PME et les entreprises travaillant en priorité pour le marché intérieur) et une catastrophe pour les salariés (80% des actifs en France).

B. Stratégie et tactique syndicale

Le retour aux principes de 1945 s’impose donc comme préalable à toute discussion. En particulier l’exigence de suppression des exonérations patronales et de leur remboursement au moins partiel. Face aux prévisions de déséquilibres il est toujours possible d’envisager, ensuite, une hausse des cotisations, à la fois progressive et équilibrée.
Selon la Mission d’Evaluation et de Contrôle de Financement de la Sécurité Sociale (rapport du 20/12/2006 consultable sur www.senat.fr), la compensation inter-régimes, instituée en 1974, pèse sur le régime général des salariés, des professions libérales, et celui des collectivités locales, au profit des artisans, commerçants, agriculteurs, mines et SNCF, pour plus de 10 milliards d’euros par an. Ces transferts accentuent encore le « déficit » du régime général.

Enfin, mais seulement dans un second temps, il est évidemment souhaitable de parvenir à une harmonisation des régimes dans le sens du progrès collectif par l’amélioration des droits à pension de tous.
Mais tout ceci n’est possible que dans le cadre d’une protection vis à vis de la concurrence des pays à bas salaires et protection sociale. D’où la rupture nécessaire avec les textes européens et l’esprit même de l’Europe libérale.

Conclusion

La retraite par répartition est notre bien commun. Il est attaqué par les libéraux pour le seul profit des plus riches, dans le cadre d’une Europe qui est construite par et pour les « élites ». Aucune des mesures prises, annoncées, prévues, ne redressera la situation puisque l’objectif est de tout détruire pour favoriser les assurances privées et le transfert des fonds de la protection sociale vers la valorisation du capital.

On se doute bien que, face à la détermination de ce gouvernement de combat, seul le rapport de force pèsera. Il importe de nouer des alliances, sur la base de nos principes, sans rechercher une artificielle unité au sommet avec des organisations qui nous lâcheront au milieu du gué. Paradoxalement, l’ampleur des régressions déjà à l’œuvre doit favoriser l’union la plus large à la base, car il y a déjà harmonisation, par le bas, des droits à pension. De plus, en cas de succès du gouvernement pour imposer ces nouvelles régressions, il ne fait pas de doute que les attaques suivantes viseraient les retraités actuels, qui ne conserveraient pas longtemps le bénéfice des règles .

Il importe aussi de se souvenir que défendre l’existant est la première condition de l’unité et de l’amélioration des droits. Toute autre tactique reviendrait à se placer d’emblée sur le terrain de l’adversaire qui s’y entend comme personne pour favoriser division et diversion, en s’appuyant naturellement sur les différentes fausses « bonnes idées » des uns et des autres.

D’autre part, il s’agit de se préparer à une lutte acharnée, en ne s’interdisant aucune modalité d’action, y compris la construction de la grève générale – sans céder à la traditionnelle culpabilisation de la prise d’otages (transport, passage d’examens …)- et la constitution de caisses de grève.